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Tribune : Les décideurs du PAS au Burkina Faso

vendredi 22 novembre 2019


A partir des années 80, les pays africains ont été le champ d’expérimentation d’une nouvelle politique économique dénommée « Plan d’ajustement structurel (PAS) », mise en œuvre sous l’égide des deux institutions clés du système de Breton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). Cette politique s’est traduite et continue de se traduire par des mesures d’austérité sans précédent que ne cessent de dénoncer les syndicats. Au Burkina Faso, il n’est pas rare de lire des références au PAS dans les déclarations des organisations syndicales à l’occasion de certains conflits sociaux. La présente réflexion revient sur la question, en expliquant ce qu’est le PAS, comment et par qui le PAS est arrivé chez nous.

1 - Généralités sur le PAS en Afrique

La plupart des pays africains ont adhéré à la Banque Mondiale et au FMI au lendemain de leurs indépendances. En en devenant membres, ils acceptaient d’être conseillées par elles, d’être soumis à leur « surveillance » (le terme surveillance est un terme officiel dans les documents du FMI pour décrire sa mission), de mettre en œuvre les politiques qu’elles recommandaient et d’emprunter de l’argent auprès d’elles à leurs conditions.
Cette coopération des pays africains avec ces deux institutions se fait selon un partage bien défini des rôles : le FMI s’occupe des questions liées aux finances publiques (recettes et dépenses de l’Etat), des questions monétaires (franc CFA pour ce qui nous concerne) et des questions de balances de paiement (recettes d’exportations, coût des importations, et toutes formes d’entrées et de sorties d’argent dans nos pays). La Banque Mondiale, quant à elle, finance le développement : routes, santé, éducation, etc.
Pour financer les besoins des pays africains, ces institutions ne leur donne pas de l’argent. Elles leur en prêtent. Ces prêts remboursables sont à des taux présentés comme étant très faibles, lorsqu’on les compare aux prêts accordés par les banques privées.
Au début des années 80, en examinant la situation économique et financière des pays africains, le FMI et la Banque mondiale font un constat amer : les pays africains sont lourdement endettés, leurs économies sont en panne, et la pauvreté est grandissante. En raison de la panne des économies, les pays africains n’arrivaient plus à rembourser les prêts qu’ils avaient contractés auprès de la Banque Mondiale, du FMI, et des pays développées qui se trouvaient être aussi les gros actionnaires de ces mêmes institutions. Les intérêts de tout le monde étaient donc menacés.
Que faire ?
Dans leurs laboratoires, le FMI et la Banque Mondiale ont concocté ce qui s’apparente à un remède de choc, plus solide, plus vigoureux, dont ils pensent qu’il va « soigner » plus vite les pays africains, entendez par là, leur redonner la santé pour qu’ils puissent rembourser. C’est cela le plan d’ajustement structurel (PAS)
C’est comme un médecin qui donne de la nivaquine très amère à un malade pendant un certain temps, et, comme le malade ne guérit pas, décide de l’opérer.
La nivaquine, c’est ce que le FMI et la Banque mondiale administraient jusque-là. Désormais, ce sera la chirurgie !
Les pays africains, déjà liés par leur appartenance au FMI et à la Banque Mondiale, ne pouvaient nullement refuser la chirurgie proposée.
Les solutions proposées par le FMI et la Banque dans ces programmes d’ajustement se résument à des mesures très simples.
Pour combler le déficit des finances publiques, le FMI taille dans les dépenses. Il y a déficit lorsque les dépenses sont supérieures aux recettes. Il faut donc « ajuster » le niveau des dépenses à celui des recettes. C’est ça « l’ajustement ».
Pour ajuster dépenses et recettes, il y a 2 solutions :
  soit on augmente les recettes, c’est à dire qu’on collecte plus d’impôt et de taxes ;
  soit on diminue les dépenses, c’est à dire qu’on diminue ce que l’Etat donne à certains secteurs.
La première solution est toujours hypothétique, puisque rien ne garantit à l’avance que les recettes vont augmenter. Tout dépend en effet de la conjoncture économique, du civisme des agents économiques et de l’efficacité des services fiscaux. C’est trop de conditions à la fois.
La seconde solution, par contre, semble aux yeux des institutions de Breton Woods plus facile et peut être mise en œuvre immédiatement. Pour elles, Il suffit de savoir où couper. Par exemple, s’il est difficile de couper le budget de l’armée, toute chose qui peut amener un coup d’Etat, on peut couper les indemnités des fonctionnaires. Ils vont sortit crier avec des pancartes, et après tout rentrera dans l’ordre.
Pour relancer les économies, la Banque Mondiale libéralise l’économie et privatise les entreprises publiques. On les vend à des privés, qui sont supposés mieux les gérer.
A l’heure du bilan, les fortunes sont diverses, dans les différents pays ayant appliqué chacune à sa manière le traitement du FMI et de la Banque Mondiale.
Au fil du temps, face aux luttes syndicales, face aux critiques formulées ici et là, le PAS a pris des colorations différentes, en changeant de nom pour prendre des appellations qui évoquent la lutte contre la pauvreté. Mais la philosophie a toujours été la même : réduire les déficits, libéraliser l’économie et promouvoir le secteur privé.
Dans les bilans dressés par les deux instituions, il est habituel de mettre en relief ceux qu’on appelle les « bons élèves », c’est-à-dire les pays qui suivent à la lettre les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale.
Dans les couloirs de ces institutions à Washington, un des bons élèves dont l’évocation du nom étonne toujours, c’est le Ghana de …Jerry Rawlings.
Oui, Jerry Rawlings, le leader révolutionnaire, anti-impérialiste et panafricaniste du Ghana.
Dès 1983, le Président Rawlings n’a pas hésité un seul instant à s’embarquer dans le PAS. Il a conclu en 1983 le premier accord de PAS du Ghana avec le FMI, à une époque où de nombreux pays tentaient encore de résister. Le programme a été rigoureusement conduit par son ministre des finances Kwesi Botchwey, nommé à son poste sur recommandation du FMI, qui a exigé et obtenu qu’il ait carte blanche pour travailler. Botchwey est resté à ce poste pendant 12 ans, de 1983 à 1995, dans une Afrique où la longévité traditionnelle des ministres des finances est beaucoup moindre. Après le départ de Rawlings du pouvoir, les gouvernements successifs du pays ont continué cette politique et l’ont tellement bien mise en œuvre qu’à un moment donné, le Ghana a pu décider, en accord avec le FMI, qu’il n’avait plus besoin du concours du FMI, même si les programmes de la Banque mondiale ont continué. Le Ghana a décidé de « sortir » du PAS, parce que les résultats étaient atteints. Ce pays est à ce jour considéré par le FMI comme l’un de ces meilleurs élèves. A tort ou à raison, on attribue à cette implication du FMI le décollage économique actuel du Ghana et les services du FMI aiment citer le Ghana comme la preuve que leur programme créé la prospérité économique. Il est vrai que, quand on compare la situation économique du Ghana en 1982, année de la prise du pouvoir par Rawlings, à celle qu’elle avait au moment où Rawlings quittait le pouvoir, c’était le jour et la nuit.
Si le Ghana est cité comme bon élève, le Burkina Faso n’est pas en reste.

II - Le Burkina Faso, le FMI et la Banque Mondiale

Notre pays a adhéré au FMI et à la Banque Mondiale le 2 Mai 1963. En adhérant à ces institutions, le Burkina a accepté d’être soumis à leurs règles. Nous sommes aujourd’hui en 2019. A aucun moment, depuis 1963, notre pays n’a quitté le FMI ou la Banque mondiale, malgré les multiples changements de régimes qu’il a connus. Ainsi donc, tous les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays depuis le 2 mai 1963, ont accepté de mettre la Haute Volta et le Burkina Faso sous le contrôle de ces institutions, de prendre en compte leurs conseils, d’appliquer leurs politiques, de se soumettre à leur « surveillance » et d’emprunter leur argent. Tous les ministres des finances du Burkina de 1963 à nos jours ont assisté aux assemblées annuelles du FMI et de la banque qui se tiennent chaque année en Septembre à Washington ou ailleurs, ont reçu leurs représentants postés ici à Ouagadougou, leur ont soumis leur gestion comme un écolier soumet son devoir à un maitre. Et il faut le répéter, quelle que soit l’orientation idéologique du régime en place, ce rituel n’a pas changé, puisque aucun gouvernement, y compris celui de Thomas Sankara, n’a eu le courage de rompre l’accord du 2 Mai 1963 qui nous lie au FMI et à la Banque Mondiale.
Par exemple, peu de gens savent que la décision prise par Maurice Yaméogo en fin 1965 de diminuer les salaires et les indemnités pour réduire le déficit des finances de l’Etat, a été dictée par le FMI. C’était une forme de PAS. On connait la suite.
Ceux qui ont vécu le fameuse « garangose », mise en œuvre par le ministre des finances Tiémoko Marc Garango à partir de 1966, vous diront que ce sont les mêmes mesures qui ont été reproduites par le CNR et reproduites par le Front populaire, à quelques variantes près.
Depuis 1966, c’est toujours les mêmes indemnités qu’on rogne, ce sont les mêmes retenues qu’on opère, ce sont les mêmes impôts qu’on applique.
C’est avec la « Rectification » survenue le 15 Octobre 1987 que la version PAS de l’aide du FMI a été introduite au Burkina.
L’accord signé avec le gouvernement de Blaise Compaoré a simplement consisté à monter d’un échelon supplémentaire dans la médication habituelle que le FMI administre à notre pays depuis 1965. La seule différence c’est qu’avec le régime Compaoré, on a ajouté la libéralisation de l’économie et les privatisations.
Quand on vous parle aujourd’hui de la suppression du fonds commun, sachez que c’est une injonction du FMI. Quand le gouvernement organise une conférence pour la remise en plat des salaires, il exécute un ordre du FMI. C’est le PAS et rien d’autre.
Mais une question qui mérite d’être posée à ce stade est de savoir quelle relation le Conseil national de la Révolution (CNR) du Président Sankara entretenait avec le FMI et la Banque Mondiale.
III – Sankara, le FMI et la Banque Mondiale
Quand le CNR, avec à sa tête le Président Thomas Sankara , a pris le pouvoir le 4 aout 1983, il a hérité d’un pays où le FMI et la Banque Mondiale étaient déjà présents depuis 20 ans (1963).
Tout au long de son règne, Thomas Sankara a dénoncé la domination du système impérialiste. Il a fustigé l’endettement des pays africains et, lors de son fameux discours à l’Onu, invité les pays africains à ne pas payer leurs dettes.
Mais dans la pratique, sa politique fut moins radicale. Thomas Sankara n’a pas retiré le Burkina du FMI ni de la Banque mondiale. Il a donc accepté, comme tous ses prédécesseurs, que le Burkina en soit membre et qu’il soit soumis à leurs conditions.
Le CNR a accumulé des arriérés dans le remboursement de la dette du pays, mais il ne l’a jamais revendiqué comme étant une défiance volontaire contre le système impérialiste. Il a expliqué au FMI et à la Banque qu’il avait des tensions de trésorerie liées à la faiblesse des recettes, laquelle faiblesse s’expliquait à l’époque par l’effondrement de l’investissement privé, effrayé par l’ambiance de la révolution. Ce qui était vrai !
La gestion des finances publiques sous Sankara fut une gestion fortement empreinte s’austérité. De nombreux avantages des fonctionnaires ont été supprimés, au nom de l’équité avec les masses rurales et au nom de la nécessité de compter sur ses propres forces : effort populaire d’investissement (EPI), suppression ou forte diminution des indemnités, réduction drastique du train de vie de l’Etat. Bizarrement, dans ses rapports, le FMI a chaudement félicité le CNR pour cela. On le comprend aisément puisque le type de mesures drastiques prises par le CNR ressemble beaucoup au genre de mesures que le FMI aime prescrire.
Sous Sankara, les ministres en charge des questions économiques et financières, à commencer par celui en charge des finances, étaient comme auparavant, des participants assidus aux assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. Et ils travaillaient en parfaite harmonie avec les représentants de ces institutions sur place. Le pays continuait comme avant à emprunter l’argent de ces institutions.
Il est d’ailleurs intéressant d’observer que Damo Justin Barro, ministre des finances de Thomas Sankara de 1983 à 1986, a rejoint la Banque Mondiale en 1987 comme analyste financier. Il est courant pour le FMI, la Banque Mondiale et les différentes institutions internationales, de recruter des anciens ministres. Ce faisant, ils étoffent leur personnel technique avec des gens qui ont été de « l’autre côté », toute chose qui permet de mieux comprendre la vision des pays et de rédiger leurs programmes en conséquence. Mais quand un ministre rejoint ces instituions après un passage au gouvernement, c’est qu’il remplit au moins les trois conditions suivantes :
  Il a travaillé en bonne intelligence avec eux quand il était en fonction, entendez par là qu’il appliquait leur politique ;
  Il partage leur vision libérale de l’économie ;
  Il est compétent.
Durant le règne du CNR, aucun programme d’ajustement n’a été signé avec le FMI et la Banque Mondiale. Le programme est resté dans le domaine habituel, qui n’en demeure pas moins une sorte de PAS.
En 1987, plus précisément au mois de Février ou Mars, des contacts ont eu lieu entre le CNR et le FMI sur la question du PAS, et ce sur les encouragements de Jerry Rawlings, qui lui, était déjà embarqué dans le PAS. On ne saura jamais si le Président du CNR allait franchir le pas, et aller dans le même sens que son frère révolutionnaire du Ghana !

IV – Le Gouvernement Compaoré et le PAS

Ce sont surtout les tensions au niveau des finances publiques qui ont entrainé le Burkina Faso dans le PAS. Pascal Zagré, qui fut un des architectes du PAS burkinabè, explique dans ses écrits que c’est le poids de l’endettement qui a obligé notre pays à aller au PAS. En effet, à la fin de l’année 1989, l’encours total de la dette de notre pays avait atteint 217,17 milliards de FCFA. En soi, ce montant n’est pas très élevé. D’habitude pour juger la dette d’un pays, on la compare à sa richesse nationale, son fameux Produit Intérieur Brut. Notre dette représentait à l’époque 29,6% de notre richesse. Il est intéressant de noter qu’après avoir beaucoup augmenté, le même ratio est retombé à 30% en 2013, presque le même qu’en 1989, en raison des annulations dont notre pays a bénéficié dans le cadre de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).
Il doit se situer aujourd’hui entre 32 et 35 %.
En 1989, le service de cette dette (c’est à dire les intérêts sur les emprunts ) était aussi quelque peu modéré puisqu’il ne dépassait pas 9,4% des exportations de la même année. Mais le véritable problème du Burkina à l’époque, c’était la faiblesse des revenus collectés. Les années de braise de la révolution n’ont pas permis au secteur privé de prospérer. Or, c’est lui le principal pourvoyeur de recettes de l’Etat à travers la douane et les impôts. Face à des recettes fiscales et douanières très faibles, le pays ne pouvait pas rembourser ses dettes. Il a donc accumulé des arriérés. Même si le remboursement d’une année n’est pas élevé, si vous faites plusieurs années sans rembourser, vous accumulez des arriérés qui deviennent très lourds.
Fin 1988, le montant total des arriérés sur la dette extérieurs avaient atteint le montant de 43,3 milliards de FCFA.
La situation était plus dramatique pour les arriérés intérieurs, c’est-à-dire l’argent que le gouvernement devait à ses fournisseurs et aux entreprises ayant exécuté des marchés publics. Ils se chiffraient à plus de 45 milliards la même année. En mai 1990, les arriérés extérieurs et intérieurs avaient atteint le chiffre inquiétant de 94 milliards soit autant que les recettes propres de l’année considérée.
Les arriérés intérieurs asphyxient l’économie, puisqu’ils mettent à genoux les fournisseurs de l’Etat. Les arriérés externes coupent le robinet des financements extérieurs puisqu’on ne prête pas à un Etat qui ne paie pas ses dettes. C’est lorsqu’un pays se trouve coincé dans une telle situation que la Banque Mondiale et le FMI proposent la thérapie de choc qu’est l’ajustement. Le marché est simple : si vous voulez qu’eux continuent de vous prêter de l’argent pour vous permettre de rembourser vos dettes et pouvoir ainsi emprunter à nouveau, vous mettez en œuvre les réformes qu’ils veulent : libéralisation, privatisations, etc. Le Burkina était une proie idéale !

V– Les décideurs du PAS

Dès son l’avènement, le Front Populaire, à travers notamment son programme d’action de Janvier 1988, a annoncé son intention d’entamer des discussions avec les institutions de Breton Woods, en vue de l’adoption d’un PAS.
Nul ne doute qu’il s’agit là de la volonté du premier rectificateur, Blaise Compaoré lui-même. Dans l’ambiance de l’époque, personne n’aurait osé inscrire une telle assertion dans le programme du Front populaire sans son aval.
C’est donc Blaise Compaoré lui-même qui a opté de conduire notre pays dans le PAS, sans doute sur les avis de ses conseillers extérieurs.
Si l’intention était annoncée dès Janvier 1988, c’est finalement en Septembre 1989 que la démarche a réellement démarré. En effet, en Septembre 1989, le Gouvernement rédigea, avec l’appui des techniciens de la Banque Mondiale et du FMI, un projet de Document Cadre de Politique Economique (D.C.P.E), qui expliquait les grandes lignes du PAS. Ce document a été soumis le 20 octobre 1989 à l’appréciation de la plus haute instance de l’Etat, à savoir la Coordination du Front Populaire.
Cette réunion de la coordination du Front Populaire consacrée à la discussion du Document Cadre de Politique économique constitue ainsi le moment crucial de la décision d’aller au PAS. La coordination du Front Populaire qui a pris la décision historique d’engager notre pays sur le chemin du PAS, comprenait en son sein d’éminentes personnalités politiques de ce que l’on pourrait qualifier la « gauche révolutionnaire » dont certains sont actuellement ténors du régime du MPP ou de l’opposition : Moctar Tall, Alain Zoubga, Dr Emile Paré, et bien d’autres personnes qui ne sont plus de ce monde comme Oumarou Clément Ouédraogo, Salif Diallo, etc.
Les membres de la coordination du Front populaire sont donc, aux côtés de Blaise Compaoré, les premiers responsables de l’introduction du PAS au Burkina et de ses conséquences sur la vie de nos populations.
Fort de l’aval de la coordination du Front Populaire, le gouvernement peut annoncer officiellement le 20 Décembre 1989, son intention de conclure un PAS avec le FMI et la Banque mondiale. Mais pour coller à l’air du temps, et souhaitant avoir l’aval de la population, le Front Populaire organise des assises nationales sur l’économie, qui se tiennent le 12 mai 1990 à la maison du peuple de Ouagadougou. Ces assises vont réunir plus de 2 000 participants triés sur le volet ( Comités révolutionnaires, opérateurs économiques, syndicats, etc.) pour examiner sans complaisance les réformes liées au PAS et pour envisager les alternatives possibles offertes à l’Etat afin de sortir l’économie de l’impasse prévisible. Au terme de ces assises, il a été convenu à l’unanimité de la mise en place d’un programme de réformes économiques soutenu par les institutions de Bretton Woods. Avec l’onction de ces assises, le Front Populaire pouvait désormais présenter le PAS comme une émanation de la volonté populaire.
Ces 2000 délégués savaient ils qu’ils prenaient ainsi une décision hautement historique ? Ont-ils même compris l’enjeu de la question ? On peut se le demander !
En vérité, ces assises n’ont été qu’un simulacre. Car, au moment où se tenaient ces assises, les émissaires du gouvernement avaient déjà commencé les discussions avec la Banque Mondiale et le FMI, et ce depuis octobre 1989. Ces discussions vont d’ailleurs durer jusqu’à mars 1991.
Le PAS du Burkina a été essentiellement préparé et négocié par quatre membres du gouvernement :
 Mme Bintou Sanogo, Ministre des Finances, (ancienne DG d’Air Burkina, elle a été nommée à ce poste le 23 Août 1988).
 Mr Tiraogo Célestin Tiendrebeogo, Secrétaire d’Etat au Budget depuis le 15 Octobre 1987 (il sera plus tard promu Ministre délégué au même poste, puis sera nommé DG de la Sofitex après son départ du gouvernement)
 (feu) Mr Pascal Zagré, Ministre du Plan et de la Coopération Internationale.
 Mr Fréderic Assomption Korsagha, ministre de la Promotion économique ; il sera plus tard ministre des finances.
Bien entendu, ces ministres avaient toujours à leurs côtés certains hauts cadres de notre Administration. Trois d’entre eux méritent d’être mentionnés :
  Bissiri Sirima, DEP du ministère des finances au début des négociations,
  Christophe Dabiré, Directeur général du plan, aujourd’hui Premier ministre.
  Tertius Zongo, adjoint de Christophe Dabiré, ancien Premier ministre.
Tous ces gens ont bien entendu agi sur la base des instructions données par le Président du Faso, Blaise Compaoré, et son Ministre d’Etat chargé de la Coordination de l’action gouvernementale, une sorte de Premier ministre avant l’heure, qui n’était autre que Roch Marc Christian Kaboré.
Le premier rapport du PAS du Burkina Faso a été soumis au Conseil d’administration du FMI en Mars 1991 et à celui de la Banque Mondiale le 4 Juin 1991. Il portait sur un montant de 80 millions de dollars US (environ 45 milliards de francs CFA).
Ce programme du premier PAS burkinabè couvrait la période 1991-1993 et avait pour objectifs :
• l’élimination de tous les arriérés extérieurs et intérieurs ;
• la maîtrise du déficit des finances publiques ;
• une restructuration profonde des dépenses publiques ;
• contenir le déficit du compte courant à 14% du PIB ;
• la réalisation d’un taux moyen de croissance du PIB réel supérieur ou au moins égal à 4% et du revenu par habitant de 1% par an ;
• la limitation du taux d’inflation mesuré par l’indice des prix à la consommation à 4%.
Dans le cadre des négociations, la délégation burkinabè a arrêté avec le FMI et la Banque Mondiale un certain nombre de réformes que notre pays s’engageait à mettre en œuvre. Ces engagements, contenus dans une matrice de mesures, concernaient :
  la restructuration des dépenses publiques,
  l’investissement dans les 4 secteurs prioritaires que sont : la santé, l’éducation primaire, les routes, et la collecte des recettes,
  la programmation de l’investissement public,
  la réforme des entreprises publiques (avec une liste précise d’entreprises publique à liquider, à restructurer, ou à privatisation),
  la réforme du secteur bancaire,
  la libéralisation des prix,
  la libéralisation du commerce selon un échéancier établi à l’avance
  etc.
Mais deux des ministres qui ont négocié le PAS (Sanogo et Zagré) n’auront pas l’opportunité de conduire le programme pendant longtemps. Pascal Zagré est limogé le 10 Septembre 1990, avant même la fin des négociations, et remplacé par Frédéric Assomption Korsaga qui devient le nouveau ministre du Plan et de la Coopération.
Bintou Sanogo perd son poste le 16 Juin 1991, à peine deux semaines après l’adoption du PAS du Burkina par le conseil d’administration de la banque mondiale (4 Juin 1991), au profit du même Korsaga qui se voit propulsé à la tête d’un grand ministère unique des Finances et du Plan.
De ce fait, c’est surtout à Frédéric Assomption Korsaga qu’est revenu la responsabilité, en tant que ministre des Finances et du plan, de mettre en œuvre le PAS dans ses premiers moments. Pour l’appuyer dans cette tâche, il avait deux ministres délégués :
  pour le Budget, M. Célestin Tiendrebeogo.
  pour le Plan, M. Jacques Sawadogo, précédemment DG de l’Onatel, et plus tard ambassadeur à Taiwan.
En plus, pour mieux organiser les relations avec la Banque Mondiale et le FMI, il a été créé un Ministère spécial du PAS, dénommé Ministère des Réformes économiques. Ce ministère a été confié à Mr Bissiri Sirima, qui sera plus tard coordinateur du MCA.
En Juin 1992, Frédéric Assomption Korsaga quitte le gouvernement. Il est remplacé par Roch Marc Christian Kaboré, nommé Ministre d’Etat, Ministre des Finances et du Plan. Le Ministère des Réformes économiques fut supprimé et remplacé par un Secrétariat Technique Permanent du PAS (STP/PAS), rattaché au ministre des finances, et confié toujours au même Bissiri Sirima. Le ministre délégué au budget est toujours Célestin Tiendrebeogo. Le ministère délégué au plan est supprimé.
En Juillet 1993, RMCK st remplacé aux Finances par Ousmane Ouédraogo, venu tout droit de la BCEAO où il occupait le poste de Vice-Gouverneur. Ce dernier reste en poste jusqu’à Mars 1994, date à laquelle il est remplacé par Zéphirin Diabré, qui était entré au gouvernement en Juin 1992 comme Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Mines.
Diabré est secondé dans un premier temps par Célestin Tiendrebeogo, puis à partir de 1995, par Tertius Zongo, nommé ministre délégué au Budget. En Septembre 1996, le Premier ministre, Kadré Désiré Ouédraogo décide de cumuler son poste avec celui de ministre des finances, afin de mieux s’impliquer personnellement dans la conduite le PAS. Il nomme Diabré au CES, mais conserve auprès de lui Tertius Zongo toujours comme ministre délégué. En 1997, Kadré cèdera finalement sa place de Ministre des Finances à Tertius Zongo, qui y restera jusqu’en 2001, avant de devenir Ambassadeur aux USA et par la suite Premier ministre de 2007 à 2011. Tertius Zongo sera remplacé aux finances par Jean Baptiste Compaoré .Ce dernier séjournera à ce ministère jusqu’en 2008, avant de rejoindre la BCEAO comme Vice-Gouverneur. Jean Baptiste Compaoré est remplacé par Lucien Marie Bembamba, qui pilotera le département des finances de 2008 jusqu’à la chute du régime Compaoré en Octobre 2014. Jean baptiste Compaoré et Lucien Bembemba, sont les ministres qui ont le plus duré aux finances sous Blaise Compaoré : 7 ans et 6 ans respectivement ! Dans l’histoire du Burkina, ils ne sont devancés en termes de longévité au poste de ministre des finances que par l’Intendant Général Tiémoko Marc Garango qui y est resté 10 ans (1966-1976).
Après l’insurrection, le ministère des Finances a changé de titulaire. M. Jean Gustave Sanon a remplacé Lucien Marie Bembamba, avant de céder son fauteuil à Rosine Coulibaly en 2016, laquelle à son tour sera remplacé par l’actuel titulaire Lassané Kaboré.
Dans la conduite du PAS, le Ministère des Finances est le chef d’orchestre. C’est lui l’interface avec la Banque Mondiale et le FMI. C’est lui le coordinateur du programme. Mais plusieurs réformes relevant du PAS sont prises en charge par d’autres ministères, qui eux aussi font donc partie intégrante de la gestion du PAS. Il s’agit notamment :
 du ministère du Commerce et de l’industrie, qui avait en charge le volet de la libéralisation du commerce, et des privatisations,
 du ministère de l’agriculture, qui mettra en œuvre un volet spécifique du PAS dénommé Programme d’Ajustement du secteur agricole (PASA),
 du ministère des Transports, qui aura aussi son propre PAS dénommé PASECT (Programme d’ajustement sectorielle des transports),
 du ministère de l’éducation,
 du ministère de la santé,
 du ministère de la fonction publique, qui mettra en œuvre le programme d’appui à l’administration(PAA),
 etc.
Au fil du temps, rares étaient les ministères qui ne sont pas concernés par un volet du PAS. De ce fait, l’écrasante majorité des personnes qui ont occupé des fonctions ministérielles depuis 1991 ont eu à mettre en œuvre un volet du PAS, avec pour chef de file le Ministre des Finances.

CONCLUSION

Pour la génération actuelle, la face la plus dure de l’ajustement structurel dans notre pays a été vécue en 1991. Mais en réalité, nous sommes en « PAS » depuis les mesures de réductions de salaire et autres avantages prises par le régime de Maurie Yaméogo en 1965. On peut certes déplorer le fait que les PAS ont laissé des souvenirs douloureux, mais force est de reconnaître que l’austérité (prôné par le PAS) est mesure qui s’impose de façon universelle lorsque les finances publiques se portent mal.
Donc, vu sous cet angle, l’ajustement, le PAS, est permanent chez nous.
En sortiront-nous jamais ? Difficile d’y répondre !

Eric ZONGO