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Réconciliation nationale au Burkina : Quel est le prix à payer pour y parvenir ?

lundi 3 février 2020


« Réconciliation nationale ». Ce terme est sur toutes les lèvres. Des politiques aux OSC en passant par les leaders coutumiers et religieux, tout le monde se fait apôtre de la réconciliation nationale. Ce serait la condition sine qua none pour permettre au pays de vaincre le terrorisme et de construire sereinement l’avenir de ses fils et filles. A un moment où le pays est effectivement au bord du gouffre, la réconciliation nationale s’impose. Celle-ci doit toutefois se dérouler dans un cadre approprié pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes conséquences.

La coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER) en avait fait son cheval de bataille. Du fait sans doute de son mode opératoire, elle s’est essoufflée sans parvenir à des résultats tangibles. Aujourd’hui, deux autres acteurs se font les grands chantres de la réconciliation nationale. Au rang de ceux-ci se retrouvent le panel des anciens et des personnalités pour la paix et la réconciliation (PANAPAX) du comité de l’appel de Manéga et le mouvement pour le plaidoyer, la cohésion sociale, le retour de la paix et la réconciliation nationale (MPCRN) de Safiatou Lopez Zongo. Si le MPCRN est au stade des consultations avec les différentes composantes de la société, les « sages » de l’appel de manéga ont, quant à eux dores et déjà publié une déclaration le 20 janvier dernier dans laquelle ils plaident entre autres pour le retour de tous les « exilés politiques » qui le souhaitent. Ils recommandent aussi une contrition publique des acteurs de l’insurrection, des acteurs de l’ancien régime initiateurs du projet de modification de l’article 37 de la Constitution et de la mise en place d’un Sénat, de tous les auteurs du coup d’Etat du 16 septembre 2015.
Le panel de manéga a le mérite d’exister. Les personnalités qui le composent sont respectables. Seulement, la démarche et les recommandations formulées pêchent par endroits. Sur le plan de la dénomination d’abord, il n y a pas d’innovation. La composition et le fonctionnement du panel fait immédiatement penser au « collège des sages » qui avait recommandé l’institution d’une journée nationale du pardon suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en 1998. Tous les Burkinabè sont témoins de la manière dont cette JNP a été sabordée. Après le « plus jamais ça ! », les crimes se sont poursuivis allègrement ! Jusqu’à la survenue de l’insurrection. A lire la déclaration du panel, on a le sentiment qu’il a juste voulu réchauffer quelques recommandations du collège des sages pour que le tour soit joué ! La question de la réconciliation nationale est bien plus complexe.

« Exilés politiques » : Attention au piège

Sur le plan sémantique, le panel semble aussi tomber dans le piège de certains discours politiques lorsqu’il plaide pour le retour de tous les « exilés politiques ». Peut-on dans la rigueur des termes, parler véritablement d’exilés politiques pour ce qui est du cas du Burkina Faso ? L’exil politique est la situation de quelqu’un qui est expulsé ou obligé de vivre hors de sa patrie. Les principales formes de violence politique peuvent être les persécutions idéologiques, ethniques, religieuses ou les conflits entre États. Les types de violence et leur étendue définissent les caractéristiques sociales de la population exilée : opposants idéologiques, membres de minorités ethniques territoriales ou intermédiaires, populations civiles se trouvant sur les lieux où s’exerce la violence. Au regard de ces caractéristiques, peut-on qualifier d’ « exilés politiques » des gens qui ont délibérément décidé de fuir leur pays sans qu’aucune menace sérieuse ne pèse sur leur vie ni sur celle de leurs proches ? Ont-ils été victimes d’ostracisme, de persécution ? Ont-ils été empêchés d’exprimer librement leurs opinions politiques au pays ? Les « sages » se laissent induire en erreur par certains politiciens adeptes de la victimisation à outrance pour obtenir l’absolution. Vouloir vous soustraire malicieusement à la justice pour des actes délictueux que vous avez commis ne fait pas de vous un exilé politique. A la lumière des différentes tractations, il faut un débat national et un véritable consensus autour de la notion d’exilé politique. Qui l’est ? Qui ne l’est pas ? Quelles conditions faut-il remplir pour être qualifié d’exilé politique ? Appeler péremptoirement au retour de tous les « exilés politiques » est un raccourci qui peut s’avérer dangereux car tout le monde aura tendance à s’engouffrer dans la brèche.

Quid du schéma de la réconciliation ?

Pour finir, les « sages » recommandent la contrition publique des acteurs de l’insurrection, des acteurs de l’ancien régime, de tous les auteurs du coup d’Etat du 16 septembre 2015.Nous naviguons dans un flou artistique où on veut instruire le procès de « tout le monde et personne ». Que valent les contritions publiques sans réparation des préjudices subis, sans justice ? Faut-il au nom de la réconciliation passer les victimes en pertes et profits ?
Nul ne s’oppose à la réconciliation. C’est le cheminement pour y parvenir qui pose problème. Il faut, du fait de cette situation, mettre rapidement en place une structure indépendante avec les différentes sensibilités. Celle-ci devra travailler rapidement sur la base d’une feuille de route et formuler des recommandations réalistes et réalisables pour permettre au pays d’aller à la réconciliation nationale. Le document initial de cette structure pourra être examiné et adopté au cours d’assises nationales sur la réconciliation. Ces assises devront permettre à tous les Burkinabè de se parler franchement pour solder le passif et envisager l’avenir ensemble. Un mécanisme de suivi-évaluation devra être mis en place à l’issue de ces assises pour veiller à l’application des recommandations. Quelque soit le schéma final qui sera retenu, le processus devra reposer sur le triptyque vérité, justice et réconciliation. Tout processus escamoté aboutira à une réconciliation de façade.

Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant Chercheur
Ouagadougou

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