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RASMANE BARRY : Ce « fou » de la société civile qui a suivi les traces des terroristes jusqu’à la frontière malienne

mardi 16 mai 2017


Le Burkina Faso est entrain de marquer de bons points dans la guerre contre le terrorisme en témoignent les récents succès dans quelques batailles. De quoi donner un ouf de soulagement aux populations, surtout celles vivant dans la région du Sahel qui avaient longtemps souffert, de l’insécurité dans cette zone liée aux actes terroristes. Le calme et l’espoir qui semblent renaître, de nos jours, résultent certes de la conjugaison des efforts, de l’engagement des forces de défense, de sécurité et les populations. Mais certains acteurs de la société civile ont également joué leur partition comme Rasmané Barry du Conseil régional des Organisations de la société civile (OSC) du nord. Alors la situation d’insécurité était très critique après les actes terroristes posés, celui-ci a décidé de se rendre par tous les moyens au Sahel jusqu’à la frontière malienne pour mieux comprendre et vivre ce qui se passe réellement sur le terrain. Cet engagement courageux ressemble à l’attitude d’un « fou » quand on sait qu’au moment où il se rendait sur les lieux, certains fuyaient en plein jour, bagages en mains, la localité pour sauver légitimement leur vie. Il mérite ainsi que l’on en parle avec lui, dans cette interview exclusive que Rasmané Barry nous a accordée, le lundi 20 mars 2017 à Ouahigouya.

TOUTE INFO : Vous avez séjourné 4 jours au Sahel, quelles ont été les étapes de ce périple ?

Rasmané Barry : J’ai fait 4 jours de tournée du lundi 13 au jeudi 14 mars 2017. J’ai quitté Kongoussi et je suis allé carrément à la frontière du Mali. De Kongoussi, je suis passé par Bourzanga, Zan, Métao, Djibo, Baraboulé, Diguel et Mondoro qui est le dernier village à la frontière du Mali. Quand vous arrivez à Mondoro, il n’y a même pas de bon marché. C’est le marché des armes, des piles fraudées, du riz fraudé venu du Mali. Mais tout est Mali (rires). Entre Mondoro et Djibo, on a à peu près, une centaine de kilomètres à parcourir et je vous assure que c’est très sablonneux et difficile à accéder.

Pour quoi avez-vous décidé de faire un tel voyage très risqué ?

En tant qu’acteur de la société civile, il faut aller vivre la situation sur le terrain, vivre ce que les autres vivent pour ne pas critiquer inutilement. Cela m’a amené à faire tout ce tour et échanger avec la population, dormir dans un certain nombre de villages, vivre réellement leurs réalités de vie et voir comment les forces de sécurité et de défense (gendarmes, policiers, militaires) souffrent dans cette région. Le voyage m’a permis de vivre avec la population et constater comment elle vit avec les militaires, les policiers et la gendarmerie et comprendre pourquoi cette crise. Parce que l’on a une crise a deux visages : certains parlent d’une question religieuse tandis que quand on arrive sur le terrain, ce sont des questions de territoire, de royaume qu’il faut faire renaître. Alors que ce n’était pas un royaume qui était typiquement religieux. C’était un royaume où vivait une communauté pas musulmane. Pourquoi cela donc ?

Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé les populations des localités traversées ?

Sur le terrain, nous avons trouvé une population traumatisée qui reste à ne rien dire, qui a peur de l’étranger. Ces populations ont peur de parler même entre elles parce que parler équivaut à programmer ta mort. Et comme personne ne veut programmer sa mort, on préfère ne pas parler et laisser les choses aller comme ça. Quand je suis arrivé, ce qui m’a sauvé, c’est mon nom de famille et parce que je connais un peu l’histoire de cette zone. Cela m’a permis de fréquenter les populations de cette zone, d’être avec elles et de comprendre leur besoin actuel qui est la sécurité. Et encore un autre besoin qui est que les 3 grandes communautés que l’on trouve dans la région à savoir les Bela, les Peulhs, les Sonrhaï, il y a un problème.

Comment avez-vous amené les populations à s’ouvrir à vous, elles qui refusent de parler ?

Comme je le disais, c’est du fait que je sois Peulh de nom, que j’ai connu l’histoire et la culture de cette communauté et que j’ai d’énormes relations là-bas qui peuvent être des chefs de villages, des imams, qui sont parfois des fonctionnaires, etc. J’ai profité de ces relations pour échanger un peu, sinon, je vous assure que c’est un peuple fermé.

Quelles sont les confidences qui vous ont été faites par les populations ?

Les confidences concernent surtout le fait que les populations connaissent ceux qui partent au Sahel se battre et ceux qui reviennent, mais ne peuvent pas dénoncer par peur d’être assassinées. Des gens qui font des va-et-vient parce que les armes ne sont pas fabriquées sur place. Il y a des gens qui les amènent. Dans une zone, on m’a dit que si on veut une arme à 25 000 FCA, on peut l’avoir, des fusils d’assaut fabriqués au Mali ou vendus dans ce pays. Donc, je me suis dit qu’il y a des trafiquants d’armes dans cette zone qui profitent de la situation. Maintenant, ces armes peuvent arriver au Nord qui est une région frontalière, au Centre-nord et même au Centre par Kongoussi. La sécurité se trouvant seulement sur les routes, on peut quitter Mondoro et rejoindre Ouagadougou sans passer par la route et cela est inquiétant.

Quelles sont les solutions préconisées par les populations pour résoudre le problème ?

Quand vous arrivez dans une zone où il n’y a pas d’école, ni de CSPS (ndlr : Centre de santé et de promotion sociale), où il n’y a rien qui montre que l’Etat existe, cela constitue déjà un drame. Les rares écoles qui sont là-bas sont celles mal construites ou sous paillotes, cela ne rassure pas les populations. Et la pauvreté faisant son chemin, les enfants n’allant pas à l’école ne trouvent pas d’emplois généralement. Ceux qui ont fréquenté vers Djibo reviennent au village, se marient très jeunes. Dans ce contexte, les populations estiment que l’Etat doit exister là où elles vivent. Elles souhaitent également que la sécurité réelle puisse exister parce que quand vous parcourez 20 à 30 villages sans rencontrer de policier, ni de gendarme, ni de militaire, cette zone est réservée aux terroristes. Il y a des gens qui vont venir s’installer car on dit et vous le savez déjà, que la nature a horreur du vide.

Quelle est la situation des éléments des forces de défense et de sécurité rencontrés ?

C’est vrai, on n’en parle pas mais ces éléments sont mal équipés. Vous pouvez rencontrer des militaires où tout le monde n’a pas d’armes. Si ce sont les policiers, s’ils sont 3, c’est qu’il y a un qui n’a pas d’armes. Il y en est de même pour la gendarmerie. Pour les militaires, ceux qui se reposent n’ont rien pratiquement. Ce que l’on appelle par exemple, les jack-points, quand vous arrivez, vous trouverez 3 policiers avec une seule arme, 3 gendarmes avec une seule arme. Vous trouverez des militaires s’ils ne sont pas à la limite fatigués de porter les armes ou s’il y en même. Parce que quand certains sont en armes, d’autres qui sont en repos n’ont pas d’armes. C’est ce que nous avons constaté. En plus, certains éléments des forces ont soif car lorsque nous sommes arrivés, j’avais une quantité importante d’eau, ils se sont ravitaillés. Cela veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas. C’est dire qu’ils ont peut-être soif ou faim. Si elles n’avaient pas soif, elles n’allaient pas prendre nos bidons d’eau. Je sais que les populations se battent tous les jours pour les accompagner. Les paysans nous ont dit qu’ils ravitaillent certains éléments des forces en tomates qu’ils produisent. Il faut que l’Etat revoie les conditions de vie de la troupe.

Avez-vous pu identifier des terroristes sur le terrain (rires) ?

Il est difficile de pouvoir identifier des terroristes parce qu’ils se comportent comme tout le monde. Quand vous arrivez sur le terrain, les gens sont réservés mais lorsqu’ils acceptent de parler, nous constatons qu’ils vivent ensemble là-bas. Ils causent le jour mais c’est la nuit que certains partent se chercher. Ce qui veut dire qu’il est très difficile de faire la différence entre celui qui part au Mali ou bien qui part se battre la nuit et qui revient rester avec les gens le jour, ce n’est pas évident. N’oubliez pas qu’avant le terrorisme, il y avait des bandits de grands chemins. Ces gens continuent de vivre avec la population ou des grands trafiquants d’armes qui avaient leurs milices qui protègent leur butin. Tout cela est dit dans les villages. C’est dire qu’il est très difficile de découvrir ces gens (les terroristes) tant que l’Etat ne met pas en place une véritable police de proximité dans les villages comme Mandoro.

Avez-vous eu peur à un moment de votre traversée au Sahel ?

Avoir peur, non. Quand on décide de quelque chose, l’échec, c’est d’avoir peur. Parce que je me suis dit qu’il y a des gens qui y vivent, des parents, des proches parents ou des amis. Il y a des enseignants, des infirmiers qui y vivent ainsi que des agents des eaux et forets, d’agriculture, pourquoi pas moi ? Je sympathisais avec les gens puisque l’on ne faisait pas la différence avec ce que je suis venu faire là-bas. Je suis un Burkinabè, j’ai ma pièce d’identité et je circule. Maintenant, le problème se situe entre Mandoro et Djibo où le contrôle est quelque fois très strict pour t’amener à expliquer les raisons de son déplacement. J’ai toujours répondu que je suis un acteur de la société civile et que je suis de la région du Sahel, on ne voit pas pourquoi je ne dois par aller là-bas. Tout jeune qui part vers le Sahel est suspect. Tu quittes Ouagadougou, tu arrives à Kongoussi, Djibo pour continuer à Mondoro, si tu n’es pas solide moralement, tu répartiras car il y a tellement de questions. Même les gens avec qui tu voyages ont peur car eux tous, ils se connaissent parce qu’ils partent chaque jour au marché avec les mêmes véhicules.

Par quels moyens de déplacement avez-vous voyagé ?

C’est quelques fois à moto et aussi par le biais des transporteurs. Il y a aussi un enseignant qui m’a beaucoup soutenu. Quand tu parts au Sahel, il faut bien te préparer sinon tu risques de repartir (rires).
Quelles sont les solutions que vous préconisez pour lutter contre les terroristes ?
Il n’y a pas de solution magique. Toutefois, il faut lutter contre la pauvreté au Sahel qui a été abandonné depuis longtemps. Quand vous arrivez, il n’y a pas d’écoles, ni de CSPS comme ça. C’est rare de trouver des écoles qui ne sont pas sous paillotes. Les populations se sentent abandonnées et fréquentent plus le Mali que le Burkina Faso. Même leurs routes ne sont pas praticables et elles peuvent aller plus facilement vers le Mali que Ouagadougou. Ce qui me fait dire qu’il faut lutter contre la pauvreté, accélérer l’éducation et faire les voies. Si quelqu’un part pour 100 000 FCA pour mourir, s’il gagne 200 000 FCA, il n’ira plus là-bas.

Etes-vous prêt à repartir au Sahel pour voir encore l’évolution de la situation ?

Je dois repartir et passer, cette fois-ci par Titao pour découvrir une autre zone qui n’est forcément pas la voie que j’ai prise pour aller jusqu’à Mondoro.
Que ferez-vous des données que vous êtes allés collecter sur le terrain ?
Je suis entrain de travailler sur cela afin de pouvoir reverser les données au ministère en charge de la sécurité. Parce qu’il y a beaucoup de choses que j’ai constatées sur le terrain et je ne peux pas en parler au micro. Je prendrai le soin de les transmettre au ministre afin qu’il puisse mener d’autres études pour voir réellement comment ils pourront lutter ensemble contre le terrorisme. Parce que les armes seules ne permettront pas de lutter contre le terrorisme. Il faut surtout craindre que cette guerre qui est très loin d’être religieuse ne soit ethnique si l’Etat burkinabè ne s’engage pas. Ce qui m’a marqué est que l’on a fréquenté 3 familles dont les enfants sont allés se battre. Ce sont des enfants qui ne priaient pas, qui ne fréquentaient même pas les mosquées. Et sont partis une soirée comme ça dans le Sahel pour se battre. On nous dit que c’est généralement 100 000 FCA par mois qu’ils gagnent, je ne sais, ça été dit comme ça. Peut-être, ce sont des questions d’argent, de libération nationale ou religieuses. Avec le tour que l’on a fait, on est entrain d’étudier profondément et on proposera dans les jours qui viennent ce qui ne va pas au Sahel et ce qu’il faut faire.

Interview réalisée par Saïdou Zoromé (Collaborateur)

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