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Burkina Faso : un Sénat pour quoi faire ?

lundi 11 mai 2015


Blaise Compaoré veut une Chambre haute. L’opposition et la société civile la refusent : trop d’argent public pour « élargir la race de parasites » quand les Burkinabè souffrent.La tension politico-sociale est d’autant plus vive que le président est soupçonné de vouloir modifier la Constitution pour s’offrir un siège à vie.

Le Burkina Faso n’avait plus connu une telle effervescence populaire contre le régime de Blaise Compaoré depuis la crise née de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en 1998. Aujourd’hui, le bras de fer se durcit entre le président et ses compatriotes. Depuis juin dernier, son régime est secoué par des soubresauts à l’intérieur de tout le pays. Des contestations, organisées à différents échelons de la société burkinabè, remettent en cause la politique économique et sociale du gouvernement dirigé par le premier ministre Luc Adolphe Tiao.

Chiens de faïence

Le chef de l’État est aussi directement accusé par ses détracteurs de tentatives
de « tripatouillage » de la Constitution pour conserver le pouvoir. De fait, son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), et ses alliés ne cachent pas leur volonté de faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Que ce soit par un référendum ou par un vote au Parlement, ils sont décidés à y parvenir. Comme le frère cadet de Blaise Compaoré, François, ils soutiennent que la limitation des mandats, prévue par l’actuelle loi fondamentale, est anticonstitutionnelle.

Mais le malaise que traverse le Burkina Faso est plus profond que ces rivalités entre le pouvoir et son opposition pour occuper le fauteuil présidentiel.
Toute la société, en réalité, est divisée après l’annonce de la mise en place d’une seconde Chambre du Parlement, inscrite dans le Constitution le 21 mai 2013. D’une part, le parti au pouvoir estime que le Sénat va pérenniser la démocratie, tandis que l’opposition prend le contre-pied en évoquant le changement de régime en 2015. D’autre part, le pouvoir fait face à la colère de plusieurs forces montantes de la société civile et de certains syndicats, qui dénoncent avec virulence le coût élevé de la vie par rapport au pouvoir d’achat. Pour ces organisations, il est inconcevable qu’au moment où l’État n’arrive pas à couvrir le minimum vital pour les populations, il s’offre le luxe d’une institution qualifiée d’inutile, sans valeur ajoutée à la démocratie et budgétivore : son fonctionnement annuel est estimé à 6 milliards de francs CFA (environ 8 millions d’euros) par an.

Pour ne rien arranger, les autorités coutumières et religieuses, appelées à la table des négociations par un Blaise Compaoré voulant les convaincre de la pertinence du Sénat, ont pris des positions radicalement différentes. Une fracture s’est créée au sein des musulmans (60 % de la population), désormais scindés en deux groupes. L’un, opposé à la mise en place du Sénat, rassemble des associations de jeunesse ; l’autre, proche du régime, réunit une catégorie de fidèles plus conservateurs.

La même scission s’est opérée chez les chrétiens protestants, qui se regardent désormais en chiens de faïence sur ce projet, chacun campant sur des positions antagonistes. Les chrétiens catholiques, eux, ont déjà dit leur refus au Sénat. Dans une lettre pastorale rendue publique, les évêques du Burkina justifient leur point de vue en évoquant la fracture sociale béante que subissent les populations. Ils relèvent notamment « la pauvreté de masse lancinante, la polarisation de la richesse au niveau d’un groupe qui se partage les pouvoirs politiques et financiers, la corruption et la patrimonialisation de l’État ». Près de 44 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et le Burkina est classé 183e sur 187 pays selon le rapport 2012 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur l’indice de développement humain.

Quant aux chefs coutumiers, véritables forces sociales et jusque-là inféodés au régime de Blaise Compaoré, ils ont adopté une position mitigée quand ils ont été reçus au palais présidentiel. Ceux que l’on appelle les « bonnets rouges » ont confié que leur participation au Sénat était conditionnée par une entente entre le pouvoir et l’opposition. Chose quasiment impossible puisqu’entre le pouvoir et la majorité il n’y a pas de dialogue. En effet, au cours des dernières concertations qu’il a eues avec les forces vives de la République, le président n’a pas voulu recevoir les partis d’opposition. De l’avis de Ferdinand Somé, député de l’opposition, c’est une erreur déplorable : « Maintenant, il lui sera difficile de revenir en arrière. Avoir dans un premier temps écarté l’opposition de la concertation rendra les choses difficiles pour le président. Pourtant, il fallait commencer par là et voir dans quelle mesure on pouvait échanger, dialoguer, discuter pour trouver, ne serait-ce qu’un compromis. »

UNE INSTITUTION QUALIFIÉE D’INUTILE, SANS VALEUR AJOUTÉE, À LA DÉMOCRATIE ET BUDGÉTIVORE.

Ce contexte controversé profite à l’opposition qui élargit ses assises et fixe son agenda avec, en ligne de mire, l’élection présidentielle de 2015. Sous l’égide de son chef de file Zéphirin Diabré, président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), elle a réussi une prouesse en organisant deux gigantesques rassemblements sur la place de la Révolution à Ouagadougou, la capitale, les 29 juin et 28 juillet derniers. Les forces de l’opposition ont fait monter la colère populaire de plusieurs crans en exhumant les failles du régime de Blaise Compaoré. Au niveau de la société civile, c’est un son de cloche encore moins rassurant pour le président. De nouvelles organisations sont entrées en lutte : le mouvement Le Balai citoyen, porté par les artistes engagés Smokey et Sams’k Le Jah, très connus pour leur liberté de ton ; le Front de résistance citoyenne, qui regroupe une dizaine d’organisations de la société civile ; le mouvement M21 dirigé par des jeunes indignés, le Collectif des femmes pour la défense de la Constitution (Cofedec) ; le mouvement M37, qui s’oppose principalement à la modification de la Constitution ; le Comité d’action pour le peuple, qui regroupe principalement les partis socialistes d’obédience sankaristes, etc. Tous ces mouvements clament leur opposition à la mise en place du Sénat, à la modification de la Constitution, et prônent l’alternance. Ils viennent s’ajouter à plusieurs autres organisations déjà existantes, comme les syndicats très critiques vis-à-vis du gouvernement actuel. Autant dire que les jours à venir ne seront pas calmes au Burkina si le pouvoir campe sur ses positions face à une fronde sociale qui grossit jour après jour.

Pour le moment, le président tient encore le pays entre ses mains. Mais peut-il encore se permettre le luxe de prendre des décisions importantes, comme la création de la Chambre haute du Parlement, sans se soucier du courroux de ses compatriotes ? Le doute est permis, d’autant plus que le général Kwamé Lougué, son ancien chef d’état-major général des armées, le général Tiémoko Mark Garango, premier médiateur de la République, l’ancien président du Conseil supérieur de la communication, Adama Fofana, ont tous pris position contre la mise en place du Sénat auquel il tient tant.

Manipulations mal vues

Ces derniers sont également très critiques vis-à-vis du régime et ne voient pas d’un bon œil les tentatives de modifier la Constitution pour offrir un bail supplémentaire à Blaise Compaoré après 2015. Au sein du parti au pouvoir, ce n’est plus la sérénité d’antan, selon de nombreuses indiscrétions. La situation est tendue, au point que le constitutionnaliste Luc Marius Ibriga n’écarte pas l’hypothèse d’une crise institutionnelle : « Avec la mise en place du Sénat, on est en train d’élargir la race des parasites de la République. Des gens qui vivent aux crochets de la République et qui ne lui apportent pas grand-chose. Ce sont de telles actions qui peuvent encourager des putschistes à tenter d’obnubiler le peuple par des messages messianiques. » Plus qu’une crise institutionnelle, il faut surtout se méfier de la menace qui pèse sur la paix sociale. C’est ce qu’a dit le député Ferdinand Somé : « Compte tenu des positions qui se radicalisent, on peut craindre d‘importants soubresauts sociaux. Du côté du pouvoir, on sait comment ils se comportent. Du côté aussi de l’opposition, on n’est pas prêt à désarmer. » Et de conclure : « Le président du Faso, médiateur de plusieurs conflits en Afrique, doit s’aviser que cela n’arrive pas qu’aux autres. »

Amidou Kabré, Afrique Asie n°96, novembre 2013