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RELIGION : Le Sénat préconise de « passer à un Islam en France à un Islam de France »

jeudi 7 juillet 2016


La mission d’information du Sénat sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte a présenté son rapport ce mercredi. Fin des idées reçues, formation des imams en France et financement des mosquées qui transiterait par une fondation sont au programme de ce rapport pour tendre vers « un Islam de France ».

Passer d’un Islam en France à un Islam de France. La nuance est mince mais essentielle pour les trois sénateurs Corinne Féret (PS), Nathalie Goulet (UDI) et André Reichardt (LR), respectivement présidente de la mission d’information, rapporteure et co-rapporteur. Ces derniers ont présenté ce mercredi un rapport d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et ses lieux de cultes. Le leitmotiv ? Bannir les idées reçues et tendre vers une meilleure compréhension de l’Islam de France. « Apaiser le débat et situer les vrais enjeux impose de ne pas raisonner par idées toutes faites ni par préjugés réducteurs, ce qui n’est pas toujours facile car les responsables français – publics comme privés – et les faiseurs d’opinion publique en France ont souvent une connaissance assez sommaire de l’Islam », peut-on lire dès la première page. Une ignorance qui peut « provoquer des incompréhensions réciproques, des clivages et génèrent des dérives de part et d’autre : radicalisation d’un côté, actes islamophobes de l’autre ». Et les sénateurs n’ont eu de cesse de le répéter : il s’agit de la deuxième religion pratiquée dans notre pays et les fidèles Français forment la première communauté musulmane d’Europe, estimée à plus de 4 millions de membres.
Une première partie se penche sur cette large part des concitoyens français. Le rapport, intitulé « de l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés », préconise alors une enquête de l’Insee tous les quatre ans pour « mieux connaître » cette part de la population française, si souvent « pointée du doigt à tort ».

« Si on veut être conforme à la loi de 1905, l’Etat peut encadrer, aider, accompagner, mais il ne doit pas prendre des initiatives »

Le reste du rapport – qui a nécessité près de 79 heures d’auditions - s’applique à identifier le fonctionnement du culte musulman en France ainsi que proposer plusieurs pistes de travail pour permettre une transition vers un Islam de France. Un fil rouge conduisait cette mission : le respect du principe de laïcité tel que fixé par la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Bien que la mission est plutôt critique sur l’action de l’Etat face à l’Islam, la rapporteur du texte, Nathalie Goulet, insiste : « Si on veut être conforme à la loi de 1905, l’Etat peut encadrer, aider, accompagner, mais il ne doit pas prendre des initiatives ». « Si c’est pour faire le concours Lépine des idées les plus crétines, on est tous capables de le faire », n’a-t-elle pas manqué d’ajouter, sans citer les initiatives qui ont fleuri à droite, comme la « concorde » de Gérald Darmanin ou le « code de la laïcité et des cultes » de Jean-François Copé.
Le rapport s’est particulièrement penché sur la formation des imams et des aumôniers, le financement du culte musulman, la filière halal et l’enseignement privé musulman. Pour chacun de ces domaines, les sénateurs relèvent une forte influence des pays d’origine (Algérie, Maroc ou Turquie).

301 imams détachés prêchent dans les 2500 lieux de culte répertoriés

Premier objectif : former les imams de France sur le territoire. Aujourd’hui, il existe deux types d’imams ceux dits détachés, fonctionnaires et donc financés par les Etats d’origines et les imams recrutés par les mosquées. Pour la première catégorie, 301 imams prêchent dans les 2500 lieux de culte répertoriés. Une « présence précieuse » selon André Reichardt, mais pas forcément adaptée quand les religieux ont une maitrise limitée du français. « La situation actuelle n’est pas satisfaisante. Plus de 300 imans sont formés à l’étranger, et pour certains d’entre eux ne maîtrisent pas suffisamment la langue française, et pour la quasi-totalité d’entre eux ne connaissent pas le contexte français. Nous avons été en Algérie, et nous avons eu l’occasion de visiter un centre de formation très important et compétent à Alger qui forme les imams qui viennent chez nous. Sur une promotion de 40, seuls 4 ou 5 étaient passés en France. Il est évident que cette connaissance du contexte français est indispensable lorsque l’on veut véritablement rencontrer la population et tenir un discours religieux à son égard », étaye le sénateur LR du Bas-Rhin. Selon le rapport, il est indispensable qu’à terme nombreux imams soient formés en France, bien qu’il n’existe aujourd’hui que 3 centres de formation dans l’Hexagone. « Il ne s’agit pas de se priver du jour au lendemain de ces contingents d’imams, pris en charge par l’Etat d’origine qui travaillent chez nous, ils nous manqueraient, par contre il faut faire une transition. On travaille pour l’avenir. »
Un autre problème a été identifié par les sénateurs. Le rapport révèle une fracture entre les fidèles et leurs organes de représentation. Les auditions font ressortir que le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003, souffre d’un déficit de légitimité. Corinne Féret « considère qu’il appartientaux responsables et à la communauté musulmane de définir une organisation ». « Il est délicat pour nous, le pouvoir public, d’imposer une organisation et une gouvernance. Il nous semble logique que l’ensemble des associations, tendances, puissent être représentées dans cette instance puisque les musulmans en France sont divers. Il y a des communautés musulmanes et pas une seule homogène », explique à Public Sénat la présidente. La mission relaye aussi des réserves à l’égard de l’ « instance de dialogue », mise en place par Bernard Cazeneuve,plus large mais dont les membres sont choisis par l’Etat, au risque de conforter « une vision idéalisée de l’islam français qu’il souhaite promouvoir ».

La fondation des œuvres de l’Islam, lieu de transit de tous les financements étrangers

Vient ensuite le tour de la délicate question du financement des lieux cultes. Afin de lever les doutes et les suspicions, la mission propose que les financements transitent par la Fondation des œuvresde l’Islam pour permettre une traçabilité et une transparence incontestable. « Ça nous semble être la structure qui pourrait être pivot pour percevoir les fonds de l’étranger. Cela serait plus transparent si cet argent transite par la fondation des œuvres islamiques de France qui existe déjà, qui ne fonctionne pas vraiment mais existe. Ensuite les financements d’un pays X qui voudrait telle somme pour une mosquée, une association cultuelle, transiteraient par cette fondation. Il faudrait néanmoins que les représentants du culte musulman se mettent d’accord sur la gouvernance de cette fondation. Ils sont d’accord s’ils sont assurés que le fléchage de leur subvention est bien préservé ».
Le rapport préconise également que toutes les associations gérant un lieu de culte deviennent des associations dites cultuelles imposant une plus grande transparence. Une fausse bonne idée pour ce financement ? La taxe halal. « Ce n’est pas le moyen à mettre en place pour obtenir des financements pour les lieux cultes et la formation des musulmans. La filière halal n’est pas normée donc c’est compliqué, voire impossible, de dire ça ou ça relève de la filière halal », explique Corinne Féret. Le rapport préconise ainsi de mettre un terme à « l’oligopole » de la filière halal - dont seules trois grandes mosquées (Paris, Evry, Lyon) délivrent les habilitations aux sacrificateurs. Une redevance pour services rendus serait alors envisageable si elle est mise en place par les représentants de culte eux-mêmes « à l’image de la redevance rabbinique ». Mais cela demande deux défis : un accord sur une norme commune du halal et un accord des différentes fédérations sur l’affectation du produit.

« Ce rapport n’est pas faire fiqu’on est une République laïque, c’est simplement prendre en compte des particularités d’un certain nombre de nos concitoyens »

Enfin, les sénateurs ont soulevé le cas des écoles privées musulmanes, ouvertes hors contrat. Soulignant le manque d’inspection des établissements privés en général, le rapport préconise d’augmenter la périodicité de ces contrôles pour l’ensemble des établissements confessionnels. Ils n’ont pas manqué également de saluer l’annonce de la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belckacem sur l’autorisation préalable pour ouvrir les écoles hors contrat (voir notre papier).

Le rapport a été adopté à l’unanimité moins une abstention, celle de David Rachline (FN), et veut sincèrement apaiser un débat plein de préjugés et d’ignorance. « Ce rapport n’est pas faire fi qu’on est une république laïque, c’est simplement prendre en compte des particularités, des spécificités, d’un certain nombre de nos concitoyens. Cela participe à comment on veut voir notre société évoluer, sur l’amélioration du vivre ensemble », conclut Corine Féret.

Source : Public Sénat, 6 juillet 2016
http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/senat-preconise-passer-un-islam-france-un-islam-france-1417903