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(DOCUMENT) Affaires Norbert Zongo : décision de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples

jeudi 10 septembre 2015


Résumé de l’arrêt du 05 juin 2015 sur les réparations

Affaire Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiéma dit Ablassé, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo& Le Mouvement Burkinabe des Droits de l’Homme et des Peuples
c.
Burkina Faso

Requête no 013/2011

I. Historique

1. Les faits de la présente affaire remontent à l’assassinat, le 13 décembre 1998, de M. Norbert Zongo, journaliste d’investigation, et de ses trois compagnons. Norbert Zongo enquêtait notamment sur le décès de David Ouédraogo, le chauffeur de M. François Compaoré, frère du Président du Faso et Conseiller à la Présidence de la République. M. Abdoulaye Nikiéma dit Ablassé et Blaise Ilboudo étaient des collaborateurs de M. Zongo, alors que M. Ernest Zongo était son jeune frère.

2. Après que la police et le Ministère public du Burkina Faso eurent mené des enquêtes et instruit l’affaire du quadruple assassinat, un des suspects identifiés fut inculpé en février 2001.

3. En juillet 2006, une ordonnance de non- lieu en faveur de l’inculpé fut cependant prise par le Juge d’instruction près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou.

4. En août 2006, un appel contre l’ordonnance de non-lieu, interjeté par la famille de Norbert Zongo auprès de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Ouagadougou, fut rejeté par cette dernière, et le non-lieu fut confirmé.

5. Suite à ces développements, les Requérants ont saisi la présente Cour, le 11 décembre 2011, en alléguant cumulativement des violations de divers instruments internationaux des droits de l’homme, auxquels le Burkina Faso est partie, à savoir : la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après la « Charte ») ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le « Pacte ») ; le Traité constitutif de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; et la Déclaration universelle des droits de l’homme (ci-après la « Déclaration »).

6. Les Requérants insistent en particulier sur la violation de leur droit à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes (art. 7 de la Charte ; art 2.3 et art. 14 du Pacte ; art. 8 de la Déclaration) ; et sur la violation de l’obligation de respecter les droits des journalistes, ainsi que du droit à la liberté d’expression (art. 9 de la Charte ; 19.2 du Pacte).

7. L’État défendeur ayant soulevé diverses exceptions d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête, la Cour s’est prononcée sur celles-ci dans son arrêt du 21 juin 2013 [l’intégralité de cet arrêt est à retrouver sur le site web de la Cour : www.african-court.org

8. Par la suite, la Cour a rendu un arrêt portant notamment sur le fond en date du 28 mars 2014 [l’intégralité de l’arrêt est à retrouver sur le site web de la Cour : www.african-court.org. Dans cet arrêt, la Cour a relevé un certain nombre de carences de la part des autorités compétentes de l’État défendeur dans la recherche, la poursuite et le jugement des assassins de Norbert Zongo et ses compagnons : longue durée de la procédure interne ; non-exploration d’autres pistes d’investigations ; audition tardive des parties civiles ; abandon total des investigations après l’ordonnance de non-lieu en faveur d’un inculpé en 2006. À cet égard, la Cour a conclu que l’État défendeur n’avait pas agi avec la diligence due, et qu’il avait donc violé le droit des Requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales, garanti par l’article 7 de la Charte.

9. Par ailleurs, la Cour a estimé que la défaillance de l’État défendeur dans la recherche et le jugement des assassins de Norbert Zongo a suscité des peurs et des inquiétudes dans les milieux des médias, et qu’en conséquence il avait violé le droit à la liberté d’expression de journalistes tel que garanti par l’article 9 de la Charte, lu conjointement avec l’article 66 .2 c) du Traite révisé de la CEDEAO.

10. À l’issue d’une procédure contradictoire prescrite par la Cour, celle-ci a rendu en date du 05 juin 2015, l’arrêt qui fait l’objet du présent résumé. Cet arrêt porte précisément sur les demandes en réparation introduites par les requérants comme suite aux violations constatées par la Cour dans son arrêt du 28 mars 2014 .Au total, il apparaît que les Requérants demandent à la fois : des dommages et intérêts pour le préjudice subi par eux ; le remboursement des frais et dépens encourus par eux ; ainsi que des mesures de satisfaction et des garanties de non- répétition.

11. La Cour a examiné ces différents chefs de demandes de réparations en faisant observer que dans la présente affaire, le seul fait internationalement illicite générateur de la responsabilité internationale de l’État défendeur considéré est la violation de l’article 7 de la Charte découlant du fait que cet État n’a pas agi avec la diligence due dans la recherche, la poursuite et le jugement des responsables des assassinats de Norbert Zongo et ses trois compagnons.

II. Les demandes de réparation du préjudice moral

A) Les Requérants, personnes physiques

12. La Cour observe que ce qui est en discussion ici entre les parties, ce sont les questions suivantes : la notion de victime susceptible d’être bénéficiaire d’une réparation et son application en l’espèce ; le type de preuve à soumettre pour établir la qualité de victime ; et le montant des réparations demandées. Elle estime egalement qu’il convient aussi de clarifier la question de la preuve du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral subi.

1) La notion de victime et son application en l’espèce
13. Alors que les Requérants alignent au total un nombre considérable d’ayants droit incluant non seulement le conjoint et les enfants des personnes décédées, mais également leurs pères et/ou mères, leurs marâtres et leurs frères et sœurs, l’État défendeur considère qu’ils ne sont pas tous des ayants droit , et qu’en particulier selon le droit burkinabé, les pères, mères, frères et sœurs ne succèdent qu’à défaut d’enfants et de descendants. L’État défendeur assimile ainsi les victimes ayant droit à la réparation aux héritiers des personnes décédées d’après la loi burkinabé. Selon cette conception, et dans les circonstances de la présente affaire, seuls les enfants et le cas échéant les conjoints seraient les victimes des violations des droits de l’homme constatées par la Cour.

14. La Cour estime qu’en droit international des droits de l’homme, la notion de victime ne doit pas être nécessairement limitée à celle d’héritier en première ligne d’une personne décédée, selon le droit national. Cette notion peut en effet comprendre non seulement ces derniers, mais aussi éventuellement d’autres personnes proches de la personne décédée, dont on peut raisonnablement penser qu’elles ont pu subir un préjudice moral caractérisé du fait de la violation des droits de l’homme concernée.

15. Il apparaît en tout cas à la Cour que la question de savoir si une personne donnée peut être considérée comme un des parents les plus proches ayant droit à la réparation est à déterminer au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.

16. Selon la Cour, dans le contexte et les circonstances de la présente affaire, sans doute beaucoup de personnes ont-elles moralement souffert, à des degrés divers, du manque de diligence des autorités de l’État défendeur dans la recherche, la poursuite et le jugement des auteurs du quadruple assassinat, mais on peut raisonnablement considérer que les personnes qui ont agi (directement ou par représentation) en toute première ligne à cet égard et souffert le plus de la situation sont le conjoint, les enfants, et les pères et mères des défunts. Ce sont donc ces personnes qui, dans la présente affaire, peuvent prétendre à la qualité de victimes, et donc à la réparation, si du moins la preuve concrète de cette qualité est dûment rapportée.

2) La preuve de la qualité de victime

17. Tandis que pour l’essentiel, en dehors le cas échéant des actes de mariage, les Requérants produisent tantôt des actes de naissance des ayants droits, tantôt des certificats de vie, et tantôt les deux à la fois, pour établir leur qualité de victime, ou ne produisent aucun document à l’appui, l’État défendeur considère qu’en conformité avec la législation nationale en vigueur, chaque ayant droit devrait produire non seulement les deux documents précités à la fois, mais également des certificats d’hérédité.

18. La Cour observe que selon l’article 26 (2) du Protocole portant sa création, elle « reçoit tous moyens de preuve (écrites ou orales) qu’elle juge appropriées et sur lesquelles elle fonde ses décisions ». Cette disposition, qui consacre le principe de la libre admissibilité des preuves, implique notamment que la Cour n’est pas tenue par les règles restrictives de droit interne en ce qui concerne les moyens de preuve admissibles. Elle peut donc décider qu’un moyen de preuve exigé par le droit interne n’est pas nécessairement requis devant elle, en tant que juridiction internationale

19. Dans la présente affaire, la Cour estime que pour établir leur qualité de victime, les Requérants, personnes physiques mentionnées dans l’arrêt, n’ont pas besoin de produire un certificat d’hérédité exigé par les lois burkinabé. Selon la Cour, les conjoints ne doivent produire que l’acte de mariage et le certificat de vie, ou toute autre preuve équivalente. Quant aux enfants, ils doivent produire uniquement l’acte de naissance attestant de leur filiation, et le certificat de vie,ou toute autre preuve équivalente. Enfin, les pères et mères doivent produire seulement une attestation de paternité ou de maternité, ainsi que le certificat de vie, ou toute autre preuve équivalente.

3) La preuve du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral

20. S’agissant du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral subi, la Cour est d’avis que celui-ci peut résulter de la violation d’un droit de l’homme, comme une conséquence automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir autrement.

21. Dans la présente affaire, il ne fait guère de doute que les proches de Norbert Zongo et de ses trois compagnons ont moralement souffert des carences imputables à l’État défendeur dans la recherche, la poursuite, et le jugement des auteurs du quadruple assassinat du 13 décembre 1998, et en particulier de la longueur indue d’une procédure en fin de compte infructueuse.

4) Le montant des réparations

22. Alors que les Requérants demandent des montants forfaitaires pour la réparation du préjudice moral subi, l’État défendeur s’attache à établir qu’aucun des Requérants n’a justifié de sa qualité d’ayant droit ou de victime indirecte, et qu’aucun n’est donc en mesure de prétendre à une quelconque réparation.

23. En ce qui concerne la quantification de la réparation, le principe applicable est celui de la réparation intégrale, proportionnellement au préjudice subi.
24. S’agissant particulièrement de la détermination des montants de la réparation pécuniaire d’un préjudice moral, il est admis qu’elle devrait se faire en équité, en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.

25. Dans la présente affaire, la Cour note en particulier que les montants forfaitaires soumis par les requérants par victime n’ont pas été formellement contestés par l’État défendeur. Dans ces conditions, la Cour, statuant en équité, et considérant que les souffrances de victimes concernées se sont étalées sur de nombreuses années, fait droit aux demandes en réparation du préjudice moral subi par les victimes identifiées dans l’arrêt qui auront fourni les preuves requises, soit 25 millions par conjoint, 15 millions par enfant, et 10 millions par père ou mère.

B) Le Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP)

26. En ce qui concerne le préjudice moral subi, le MBDHP réclame au Burkina Faso le franc symbolique pour tous les dommages causés pour son implication dans les actions de recherche de la vérité. L’État défendeur indique pour sa part qu’il ne voit aucun inconvénient quant au paiement de cette somme symbolique en réparation dudit préjudice.

27. La Cour admet d’abord qu’une personne morale peut subir un préjudice moral. En l’espèce, ce préjudice a pu résulter des frustrations ressenties durant des années par le MBDHP en raison du non-aboutissement des actions de recherche, de poursuite et de jugement des assassins de Norbert Zongo et ses compagnons.
28. La Cour estime ensuite à cet égard que, conformément à la pratique internationale, la constatation, dans son arrêt précité du 28 mars 2014 de la violation de la Charte par l’État défendeur, constitue déjà en soi une forme de réparation du préjudice moral subi par le MBDHP.

29. En outre, dans les circonstances particulières de la présente affaire où l’État défendeur n’a pas soulevé d’objection, la Cour fait droit, pour le surplus, à la demande des Requérants d’octroyer un F CFA symbolique au MBDHP.
III. Les demandes en réparation du préjudice matériel

30. Les Requérants demandent pour le compte du MBDHP le remboursement de tous les frais encourus par l’organisation, entre 1998 et 2013, de manifestations, particulièrement la journée de lutte contre l’impunité organisée le 13 décembre de chaque année, pour à la fois forcer les autorités à rechercher les auteurs de l’assassinat du journaliste et de ses compagnons et mobiliser la population burkinabé afin qu’elle apporte son soutien aux familles des ayants droit, à savoir la somme de quarante-cinq millions sept cent trente-quatre mille sept cent cinq (45.734.705) FCFA.

31. L’État défendeur estime que la demande de remboursement des frais d’organisation de manifestations ne repose sur aucun fondement matériel ou légal dans la mesure où ces manifestations étaient organisées en commun avec d’autres organisations, étaient de caractère général et n’avaient pas pour objet spécifique le dossier Norbert Zongo, et dans la mesure aussi où le MBDHP ne rapporte aucun document attestant des frais qu’il dit avoir exposés pour la tenue de ces manifestions, et n’indique même pas quand lesdites manifestations ont pu avoir lieu

32. La Cour rappelle que le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples est, comme sa dénomination l’indique, une organisation de défense des droits de l’homme et des peuples au Burkina Faso. Il apparaît dès lors que l’organisation de manifestations en vue de la défense des droits de l’homme dans ce pays, y compris les droits des ayants droit de Norbert Zongo et ses compagnons, rentre dans son mandat et dans le cadre normal de ses activités.

33. Pour cette raison, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de remboursement des frais engagés par le MBDHP pour l’organisation de manifestations en faveur des droits de l’homme, y compris ceux des requérants dans la présente affaire.

IV. Les frais et dépens encourus par les ayants droits

A)Les honoraires d’Avocats

34. Les Requérants demandent le remboursement des dépenses effectuées tant au niveau national qu’international pour obtenir justice. Ils précisent que leurs Conseils se sont occupés du dossier depuis 1999 avec ce que cela comporte comme conséquences sur tous les plans (politique, financier, moral, etc.), et demandent à la Cour d’arbitrer ces frais à la somme de vingt-cinq (25) millions de FCFA sous réserves des taxes et émoluments y relatifs, avant de rectifier et de demander, sur la base des conventions d’honoraires , la somme de vingt-cinq (25) millions de FCFA par famille, soit un total de cent (100) millions de FCFA.

35. L’État défendeur conteste que les honoraires d’avocats fassent partie de dommages et intérêts, mais soutient que si, par extraordinaire la Cour convenait qu’ils en font partie, la somme de 25 000 000 réclamée par les Conseils à chaque famille de victime est excessive et hors de proportion avec les réalités socio- économiques du Burkina Faso. L’État défendeur, qui estime que les conventions d’honoraires sont complaisantes, considère que la somme de 20 000 000 FCFA, soit 5 000 000 FCFA par famille, constituerait une juste rémunération des avocats des victimes.

36. De l’avis de la Cour, la réparation due aux victimes des violations des droits de l’homme peut également inclure le remboursement des honoraires d’avocats

37. En ce qui concerne la détermination du montant de ces honoraires, la Cour a décidé, dans une autre affaire, qu’il revient au requérant de fournir la justification des sommes réclamées

38. Dans la présente affaire, les Requérants ont produit un extrait du barème indicatif des frais et honoraires des avocats du Burkina Faso en date du 20 décembre 2003, ainsi que des conventions d’honoraires signées avec les avocats en 2010.

39. De l’avis de la Cour, le montant qui aurait été basé sur le barème indicatif serait trop bas, si l’on tient en compte, entre autres, les difficultés qu’ont dû rencontrer les avocats au cours de la procédure interne, en raison particulièrement de sa longueur et de la haute sensibilité politique du dossier, et si l’on prend également en considération les exigences qualitatives de la procédure devant une juridiction internationale L’État défendeur lui-même admet qu’un montant global beaucoup plus élevé, à savoir 20 000 000 FCFA, serait raisonnable. D’un autre coté, le montant de 100 000 000 FCFA fondé sur les conventions d’honoraires apparaît comme trop élevé dans les circonstances, en particulier si l’on prend en compte le fait qu’il s’agissait d’une seule affaire pour les quatre familles.

40. Dans ces conditions, la Cour se doit de déterminer le montant des honoraires des avocats en équité, sur la base de ce qui lui semble raisonnable dans chaque espèce. A son avis, dans la présente affaire, et considérant à la fois les montants fixés par le barème indicatif, les montants prévus par les conventions d’honoraires, et les montants proposés par l’État défendeur lui-même, un montant total forfaitaire des frais et honoraires des avocats à hauteur de 40 millions, est équitable et raisonnable.

B) Les frais de déplacement et de séjour au siège de la Cour

41. Les Requérants demandent le remboursement des frais de déplacement et de séjour des Conseils et du représentant du MBDHP à Arusha pour participer aux audiences de la Cour, pour un montant qu’ils estiment d’abord à sept millions deux cent mille (7.200.000) FCFA, puis en fin de compte à six millions cinq cent quarante-deux mille cinq cent (6.542.500) FCFA.

42. L’État défendeur estime que les frais de déplacement et de séjour à Arusha pour y suivre le procès devraient être attestés par divers documents délivrés par des sociétés de transport, des hôtels et des restaurants, et s’en remet à l’appréciation de la Cour pour ce qui est de leur montant, considérant que ces frais ne sont pas évoqués dans les conventions d’honoraires.

43. La Cour est d’avis que la réparation due aux victimes des violations des droits de l’homme peut également inclure le remboursement des frais de déplacement et de séjour de leurs représentants à son siège, pour les besoins de l’affaire.

44. La Cour observe que dans la présente affaire, les parties s’accordent sur le principe duremboursement des frais de déplacement et de séjour, à Arusha, des représentantsdes requérants. La Cour note également que les Requérants ont produit des pièces écrites destinées à établir les montants réclamés. Elle constate cependant qu’ils n’ont pas complétéle jeu des pièces justificatives initialement produit.

45. La Cour considère que s’agissant du remboursement de frais effectivement engagés, seules les dépenses justifiées par une preuve de paiement tel que les reçus ou les documents équivalents peuvent être pris en compte en vue d’une réparation.

46. Sur cette base, la Cour fait droit à la demande de remboursement en faveur des requérants d’un montant total de 5.195,37 USD, équivalant à 3.135.405, 80 FCFA au taux de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

V. Les mesures de satisfaction et les garanties de non- répétition

A) Mesure de satisfaction : la publication de la décision de la Cour

47. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner la publication de sa décision dans le Journal officiel, le quotidien national Sidwaya et les deux journaux les plus lus afin que l’opinion nationale, plus particulièrement les autorités judiciaires et les responsables des services de sécurité, sachent les torts causés à l’État et son système de protection des droits de la personne humaine par le mauvais fonctionnement des services publics de la justice et de la sécurité.

48. L’État défendeur indique que par principe, il ne voit pas d’inconvénient à la publication de la décision de la Cour, mais plaide qu’en droit international des droits de l’homme, les mesures de satisfaction ne doivent pas conduire à l’humiliation de l’État contre lequel il a été retenu des violations des droits de l’homme. Comme selon lui, le motif de la demande du Requérant participe plus d’une volonté d’humilier l’État du Burkina Faso et de nuire à son image que d’un souci de protection des droits humains, il prie la Cour de rejeter cette mesure de satisfaction comme étant inadéquate et non pertinente.

49. La Cour observe que le principe même de la publication de la décision de la Cour n’est pas contesté entre les parties.

50. La Cour note par ailleurs que la publication des décisions des juridictions internationales des droits de l’homme au titre de mesure de satisfaction est de pratique courante.

51. La Cour estime en outre que, conçues de manière raisonnable, les mesures de publication de sa décision n’ont rien d’humiliant pour l’État défendeur.

52. En s’inspirant de sa propre jurisprudence, la Cour est d’avis qu’à titre de mesure de satisfaction, l’État défendeur doit, dans un délai de six mois à compter du présent arrêt, publier : (i) le résumé en français du présent arrêt préparé par le Greffe de la Cour, une fois dans le journal officiel et une fois dans un quotidien national de large diffusion ; (ii) le même résumé sur un site Internet officiel de l’État défendeur, et l’y maintenir pendant un an.

B) Les « garanties de non- répétition »

53. En rapport avec ce qu’ils appellent des « garanties de non- répétition », les Requérants demandent à la Cour d’ordonner la reprise des investigations afin que les auteurs de l’assassinat soient débusqués et traduits devant les juridictions nationales, et d’exiger des autorités burkinabé de fournir à la Cour dans un délai de six (6) mois, toutes les informations concernant les initiatives prises à cet effet.

54. En se fondant toujours sur l’argument de l’humiliation, l’État défendeur plaide qu’exiger la reprise immédiate des investigations et la production dans un délai de six mois de toutes les informations concernant les mesures prises à cet effet, constitue un mépris vis-à-vis des dispositions du Code de procédure pénale burkinabé qui prévoient les conditions de réouverture des investigations. L’État défendeur ajoute que dès qu’il sera découvert des faits nouveaux ou charges nouvelles, il fera procéder à la réouverture de l’information, aussi longtemps que la prescription de dix(10) ans prévue pour les crimes ne sera pas intervenue.

55. En ce qui concerne la demande de reprise des investigations sur l’assassinat de Norbert Zongo et ses trois compagnons, la Cour fait observer qu’il ne s’agit pas véritablement d’une mesure de non- répétition, mais plutôt d’une mesure de cessation d’une violation déjà constatée.

56. Quoi qu’il en soit, la Cour est d’avis qu’il s’agit d’une mesure légitime susceptible d’éviter en effet la continuation de la violation de l’article 7 de la Charte en l’espèce.

57. La Cour estime par ailleurs qu’une telle mesure est loin de constituer un mépris vis-à-vis de la législation burkinabé, puisque celle-ci offre des possibilités de reprise des investigations après une décision judiciaire nationale de non- lieu, et que l’État défendeur lui-même est disposé à rouvrir les investigations dans les affaires en cause.

58. La Cour précise en outre que si en effet, elle peut ordonner à l’État l’adoption de certaines mesures, elle n’estime en revanche pas nécessaire d’indiquer à celui-ci comment il doit se conformer à sa décision, les moyens de le faire pouvant être laissés à son appréciation.

59. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour accède à la demande des requérants d’ordonner à l’État défendeur de reprendre les investigations, en vue de poursuivre et juger les auteurs de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons, et ainsi faire toute la lumière sur cette affaire, et rendre justice aux familles des victimes.

60. En ce qui concerne la demande des requérants d’exiger de l’État défendeur de produire dans un délai de six mois toutes les informations concernant les mesures prises à cet effet, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de fixer un délai spécifique pour la mise en œuvre de ces dernières, étant donné qu’elle déterminera dans le dispositif (infra, par. 61) les délais dans lesquels l’État défendeur devra l’informer de l’exécution de l’ensemble des mesures qu’elle aura prises dans la présente affaire.

VI. La décision de la Cour

61. Par ces motifs,la Cour :

(i) Décide qu’en ce qui concerne le préjudice moral subi par les requérants personnes physiques, dans la présente affaire, seuls le conjoint, les fils et filles, et les pères et mères des personnes décédées, cités au paragraphe 50du présent arrêt, ont droit à la réparation ;

(ii) Ordonne en conséquence à l’État défendeur de payer vingt- cinq (25) millions FCFA à chacun des conjoints ; quinze (15) millions FCFA à chacun des fils et filles ; et dix (10) millions FCFA à chacun des pères et mères concernés ;

(iii) Déclare qu’ aux fins des paiements prévus au paragraphe précédent, les documents ci-après devront être présentéspar les Requérants aux autorités compétentes burkinabé : un acte de mariage et un certificat de vie ou touteautre preuve équivalente pour le conjoint ; un acte de naissance et un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente pour les fils et filles ; une attestation de paternité ou de maternité et un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente pour les pères et mères ;

(iv) Déclare que l’arrêt du 28 mars 2014 en la présente affaire constitue une forme de réparation du préjudice moral subi par le Mouvement Burkinabé des Droits de l’homme et des Peuples (MBDHP) ; ordonnepour le surplus à l’État défendeur de payer un (1) franc symbolique au MBDHP, au titre de réparation dudit préjudice ;

(v) Rejette la demande par le MBDHP d’une indemnisation pour avoir régulièrement organisé des manifestations en faveur des droits de l’homme, y compris ceux des requérants ;

(vi) Ordonne à l’État défendeur depayer aux requérants lasomme de quarante (40) millions de FCFA au titre des frais et honoraires qu’ils doivent à leurs avocats conseils ;

(vii) Ordonne à l’État défendeur de rembourser aux requérants les frais de déplacement et de séjour de leurs conseils au siège de la Cour, en mars et novembre 2013, à hauteur de trois millions cent trente-cinq mille quatre cent cinq et quatre-vingt centimes (3.135.405, 80) de FCFA ;

(viii) Ordonne à l’État défendeur de payer tous les montants indiqués aux points (ii),
(iv), (vi) et (vii) du présent paragraphe dans un délai de six mois à partir de ce jour, faute de quoi il aura à payer également un intérêt moratoire calculé sur la base du taux applicable à la Banque Centrale de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), durant toute la période de retard et jusqu’au paiement intégral des sommes dues ;

(ix) Ordonne à l’État défendeur de publier, dans un délai de six mois à compter de la date de la présente décision : (a) le résumé en français du présent arrêt préparé par le Greffe de la Cour, une fois dans le journal officiel et une fois dans un quotidien national de large diffusion ; (b) le même résumé sur un site Internet officiel de l’État défendeur, et l’y maintenir pendant un an ;

(x) Ordonne àl’État défendeur de reprendre les investigations en vue de rechercher, poursuivre et juger les auteurs des assassinats de Norbert Zongo et de ses trois compagnons ;

(xi) Ordonne à l’État défendeur, de lui soumettre, dans un délai de six (6) mois à partir de ce jour, un rapport sur l’état d’exécution de l’ensemble des décisions prises dans le présent arrêt.

Ont signé : Augustino S.L. RAMADHANI, Président ; Elsie N. THOMPSON, Vice- Présidente ; Gérard NIYUNGEKO, Fatsah OUGUERGOUZ, Duncan TAMBALA, Sylvain ORE, El Hadji GUISSE, Ben KIOKO, RafâaBEN ACHOUR, Solomy B. BOSSA, Angelo V. MATUSSE, Juges ; et Robert ENO, Greffier,

Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de juin de l’an deux mille quinze, en français et en anglais, le texte français faisant foi.

L’intégralité de l’arrêt est à retrouver sur le site web de la Cour : www.african-court.org

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