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Burkina Faso : cinq scénarios possibles face à la situation nationale

samedi 1er octobre 2022


L’impasse s’amplifie sous le ciel burkinabè. Les attaques armées font rage. Les vies humaines sont fauchées dans des circonstances écœurantes et révoltantes. Et pour ne rien arranger, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba et ses supporters manquent de créer le moindre espoir à l’horizon. Une somme de griefs qui dépasse l’entendement et qui commande une analyse scénaristique à cinq branches.

Note d’avertissement aux lecteurs : les analyses ci-après que nous avons écrites dans la nuit du 29 au 30 septembre 2022 étaient prévues pour publication le mardi 4 septembre prochain. Mais le 30 septembre dans la soirée, nous apprenons la survenue d’un coup d’État après une journée confuse au sein de l’armée. Alors que nous nous apprêtons à les publier ce jour 1er octobre 2022 (par anticipation), certaines informations font état d’une tentative de résistance au putsch, tandis que d’autres appellent à une mobilisation populaire pro-putsch et la mise en place d’une transition civile.

En probabilité, il est supposé qu’aucun scénario n’est vrai à l’absolu. Il y a toujours des marges à prendre en compte. En moins ou en plus. S’il faut donc analyser la situation socio politique du Burkina Faso, nous pouvons d’emblée accorder à chacun le bénéfice de la critique, du doute et même la contradiction à nos propos. Ce n’est pas idiot. Car, sous le même angle de la probabilité, on distingue des marges élevées, moyennes et faibles. Ainsi donc, nous convenons d’émettre les scénarios possibles qui se présentent au pouvoir et aux citoyens burkinabè. Cela sans prétention de pouvoir les classer de manière authentique.

Scénario 1 : Paul Henri Sandogo Damiba s’écarte immédiatement du pouvoir

Pour comprendre un tel scénario, un des repères c’est de se rappeler du contexte dans lequel il est parvenu au pouvoir. Damiba s’est accaparé du pouvoir alors qu’il était jusque-là un inconnu de la sphère publique. Ce fut l’époque où la conscience collective, se remémorant de l’exploit populaire de l’insurrection qui a chassé le président Blaise Compaoré et de la victoire sur le putsch du général Gilbert Diendiéré,, n’osait admettre un possible coup d’Etat au Burkina Faso. Au-delà du coup de force, c’est son couronnement extraordinaire par les sages du Conseil constitutionnel qui ont accepté de vêtir le chef des hommes armés bien identifiés, Paul Henri Sandaogo Damiba, de tous les attributs du pouvoir politique. Cela reste un choc. Un moyen d’amortir ce choc serait d’imaginer le scénario inverse à deux conditions. La première, c’est que Damiba après avoir pris la mesure de la situation décide de faire marche-arrière. Dans les mêmes conditions de légèreté que le Conseil constitutionnel avait assermenté le putsch, il acte un nouveau pouvoir dont lui seul trouvera encore les moyens juridiques d’assoir. Un tel pouvoir, difficile à admettre dans un cadre putschiste, n’est tout de même pas exclu si l’on considère qu’en vertu de la constitution, une vacance de pouvoir peut être envisagée pour une raison X ou Y.

Scénario 2 : le président Damiba est emporté par ses frères d’armes

La bêtise humaine est ainsi faite. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nous sommes dans le scénario où, à force d’accumuler les défaites, un cancre, un idiot ou un superman (c’est selon), pointe son nez dans le cercle fermé du pouvoir armé. Un frère d’arme de Damiba qui, comme pour lui répondre mot pour mot, se donne les moyens de réaliser une nouvelle forfaiture. Ce sera l’homme qui aura bien voulu faire aussi son coup d’Etat. Dans ce scénario du perpétuel recommencement qui n’est pas exclu, deux possibilités sont à considérer. D’abord, il y aura tout de suite une sorte de Goïta. Comme le président Assimi Goïta du Mali qui a perpétré un double coup coup d’État avant d’arriver au perchoir, l’agenda immédiat du nouveau putschiste va s’engouffrer dans une politique anti-impérialisme français. Il y aura des tentatives de faire du Thomas Sankara. En tout état de cause, nous aurons un type de pouvoir qui voudra se constituer comme l’antithèse de Paul Henri Damiba.
Ensuite, dans cette même situation répétitive, le nouveau putschiste organise immédiatement la remise du pouvoir à une personnalité civile. Dès lors, il prend conscience qu’il ne peut pas prospérer au milieu d’une armée qui a pris goût aux coups d’Etat. Ce scénario qui pourrait se dessiner comme un signal ou une orientation pour les forces armées de retourner dans les casernes et de prendre la direction du front au détriment du pouvoir politique amène à penser qu’il y aura des mécontents : les affidés du chef de l’Etat qui avaient commencé à prendre goût du pouvoir politique sans intérêt patriotique réel de la chose publique. Mais dans une certaine mesure, l’armée pourra se reconstituer dans sa grande majorité avec ses éléments sincères qui écoutent le peuple et veulent se mettre au service de l’intérêt supérieur de la nation.

Scénario 3 : la colère populaire s’empare du pouvoir

C’est un scénario bis de 2014, avec toutefois des variantes complexes tant dans la forme que dans le fond. Dans sa manifestation formelle, nous verrons une situation de révolte à travers laquelle la jeunesse décide de faire front commun pour marquer son désaccord vis-à-vis des choix politiques du pouvoir en place. Tout comme dans le cas de la dénonciation de la modification de l’article 37 de la constitution, les mobilisations dénoncent les orientations au sommet de l’Etat, font monter la moutarde avec une mise au point : l’arrêt de cavaler avec le système néocolonial qui se manifeste au niveau local par la reconstitution de l’ordre ancien et au niveau global par les accointances de la transition avec les Etats exploiteurs ou complices de bien de nos malheurs. Passé les dénonciations, la colère populaire se transforme en une prise irréversible de la question politique du pays avec des revendications que le pouvoir actuel ne peut résoudre à cause de ses options. Il va se trouver dans cette étape une jonction entre la nécessité de changer le chef d’orchestre mais aussi la musique qui va se jouer. En plus donc des hommes qui vont exercer le pouvoir d’Etat, on pourrait assister à une alternative sur le contenu politique. Tirant leçon du soulèvement populaire de 1966 qui a créer la chute de Maurice Yaméogo, de l’insurrection populaire qui a fait fuire Blaise Compaoré, de la résistance au putsch de Gilbert Diendiéré et l’expérience de la récupération du pouvoir par une fraction de l’armée, les composantes des forces en présence ne manqueront pas de fixer des bornes. Le Burkina Faso pourrait ainsi connaître l’un de ses plus grands bouleversements politiques : un changement radical.

Scénario 4 : Les tergiversations ouvrent la porte au chao

ça n’arrive pas qu’aux autres. La situation du Burkina Faso est très délicate comme elle ne l’a jamais été. Chacun peut croire ce qu’il veut. Mais la forte probabilité sur les batailles menées par l’armée burkinabè et les groupes armés dont les identités sont loin d’être définitivement établies ou présentées est que nous sommes face à une guerre d’occupation territoriale. C’est le pouvoir politique qui est dans le collimateur. Si aucun autre scénario ne prend le dessus ou tout au moins ne présente des signaux d’espoir tangibles, le Burkina Faso court le risque de basculer totalement. Le temps imparti est compté.

Scénario 5 : Une fin tranquille de la transition, l’imprévisible post-électoral

Un cinquième scénario qui est sans doute celui sur lequel le pouvoir de la transition mise, c’est une fin tranquille aux termes des 24 mois promis. Sauf que les indicateurs sont tout autres. Pour qu’un tel scénario prospère, le président Damiba devra immédiatement trahir les siens : la branche politique qui le porte. Ce sera une façon de se mettre au-dessus de la mêlée. Bien évidemment, les fidèles de Blaise Compaoré, y compris des chefs d’Etat amis, seront vexés. Mais c’est le moindre mal pour parvenir à des élections qui publieront leurs résultats. Sans cela, l’adossement du pouvoir de la transition aux anciens caciques du pouvoir Compaoré ne rassure aucunement la classe politique électoraliste. Dans tous les cas, supposons qu’au bénéfice de l’attentisme ou dans la patience, les Burkina observent la situation sociopolitique jusqu’au bout des 24 mois. Quelles élections ce pouvoir sera-t-il capable d’organiser pour que les Burkinabè se retrouvent autour de l’essentiel et reprennent le travail dans un pays reconstitué ?

Amidou Kabré
TOUTEINFO.COM, journal d’investigation en ligne

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